FRANCE – MOUSSA DE PRINCE WALY
“Sous la tragédie et l’adversité, Moussa est une célébration de l’audace de se réveiller chaque matin pour essayer d’être meilleur, sachant que tout pourrait se terminer en une seconde, sans aucune raison”
Le premier son que nous entendons sur Moussa est une psalmodie : “Aucun mensonge, pas de romance, vérité, vérité…”, murmurent une voix évoquant l’état d’esprit de l’artiste. S’ils se révèlent aussi importants, c’est qu’ils traduisent à la perfection l’état d’esprit du Prince Waly : un rappeur coincé entre le succès et des convictions personnelles de plus en plus pesantes. La pochette de l’album, fournit une invite visuelle pour la scène : Prince Waly face contre l’air bag de sa voiture comme après un accident de voiture. L’instantané est un aperçu si brut de la vie intérieure du rappeur que le regarder trop longtemps semble presque invasif. Cette intensité autobiographique est la carte de visite de l’album. L’écouter donne l’impression d’entrer directement dans la tête de Waly et, pendant la demi-heure suivante, de grandir à ses côtés.
Après une première écoute, il est légitime de se demander si Le prince ne vient pas de se crasher en pleine voie, abattu par le poids d’une ambition démesurée subtilement dissimulé aux yeux de tous. Pourtant, l’arrière-goût laissé par ces quatorze titres est loin d’être amer. Au contraire, l’œuvre ne se laisse apprivoiser qu’avec du temps, de l’acharnement et suffisamment de confiance pour se laisser guider par une narration qui suit l’évolution d’un rappeur. On pourra largement sous-titrer le disque “Un court métrage du Prince Waly”, et la comparaison sonne juste : vous pourriez prendre le plan de l’album et construire un décor pour une pièce en trois actes.
L’ouverture Bleu “, transforme la chute de Wallygator, la star de l’action devenue vénale, en une sorte de parabole faustienne. Et tout en abordant des sujets aussi profonds que les problèmes raciaux, il se permet de remettre ses confrères à leur place sur l’énergique Balotelli, avec une facilité aussi déconcertante que l’excellent Rotweiler. L’album est parsemé de notes de grâce surréalistes qui ponctuent le début de presque toutes les pistes, comme Movie qui nous amène tout droit dans un film de Spike Lee en miniature, dont les motivations des personnages ne sont pas claires et la moralité est noueuse, mais il y a une force centrale que vous pouvez sentir diriger à chaque instant.
Toute l’ambition naturaliste du Prince Waly réside dans l’observation de son propre reflet, au travers de son environnement. Tout ce matériel lourd pourrait faire sonner Moussa comme un peu un frein. Mais le miracle de cet album est de savoir comment il lie les sensations fortes du rap – une virtuosité lyrique éblouissante, des citations habiles, des rythmes pulvérisants, les invités sur cet album – directement à son récit. Mais alors que sa voix fléchit et s’arrête dans un rythme qui imite ses trajets trop ardents, il explore la furtivité dans Messe, la famille et la foi ne sont pas des concepts abstraits : ce sont les liens qui s’effilochent qui retiennent Le prince Waly du gouffre de la violence qui a menacé de le consumer. Son disque, bien que remplis d’idées contradictoires et de voix qui se disputent, ont le même sens d’une main directrice au travail.
Malgré tout cela, il joue toujours avec un récit en cachette : Juste sous la surface se trouve un fil messianique sur le fait d’éviter les ruses d’une fille sensuelle nommée Lucifer. Il refuse cependant de blâmer sans en accepter aucun, et lors de l’excursion chaotique de free jazz Broke, il tourne un Miroir sur lui-même en criant “laisse moi te faire une confidence : j’ai perdu toute confiance” et suggérant que sa renommée est semblable à l’Edelweiss. Il s’agit d’un album sur de minuscules améliorations de la qualité de vie à apporter face à des obstacles apparemment insurmontables. Ce n’est peut-être pas le message que nous voulons mais cela ne le prive pas de valeur.
Mais la vraie fin de Moussa se déroule à la fin de la chanson Mercy, qui représente la victoire spirituelle vers laquelle l’histoire de l’album s’est frayé un chemin. Un titre ambitieusement réussi qui met en scène Waly dans sa version la plus vulnérable, l’occasion d’échanger quelques paroles quant à la position sur la morale et sa lutte contre cancer. Sous la tragédie et l’adversité, Moussa est une célébration de l’audace de se réveiller chaque matin pour essayer d’être meilleur, sachant que tout pourrait se terminer en une seconde, sans aucune raison.