MAURITANIE/FRANCE – NATIONALITÉ: IMMIGRÉ
Autrice: Charlyze Anguiley
Le jeudi 4 mai, à l’occasion de la soirée d’ouverture du festival Jean Rouch (un des pères fondateurs du film ethnographique français), compétition du film ethnographique, le public a assisté à la diffusion du film Nationalité : immigré (1975). Un film du réalisateur mauritanien Sidney Sokhona, bouleversant et qui répond tristement à une réalité de milliers et millions de personnes dans le monde et au quotidien, encore aujourd’hui. Le film, produit et réalisé par un cinéaste lui-même étranger et africain, est presque autobiographique et très réaliste.
En noir et blanc, en accord avec l’esthétique de l’époque, le documentaire scénarisé plonge les spectateurs dans l’arrivée, l’acculturation et l’acclimatation complexes à Paris de Sidi, jeune homme mauritanien. De Sidi, on découvre les vies d’immigrés sénégalais ou maliens, en plein cœur de la capitale française : on y dévoile des conditions d’hébergement inhumaines et intolérables dans des squats calcinés et désertés, loués par “des marchands de sable” et ainsi, le racisme courant auquel ces hommes sont confrontés au quotidien. On est témoins de cette violence verbale et institutionnelle où les personnes et avant tout des hommes noirs, sont mis en bas de l’échelle, déshumanisés et ou, au mieux, exploités. Un point est d’ailleurs à relever et qui est pointé dans le film : l’absence de femmes noires et africaines. Le manque de moyens fait que ces hommes venus travailler et tenter leurs chances, y arrivent difficilement mais surtout sans l’appui familial et/ou conjugal et affectif. Seuls dans la capitale, le lien social et humain se situe au niveau fraternel et amical sous le joug d’un choc émotionnel et peut-être psychologique.
Le film révèle aussi les pierres fondatrices de ce qu’on pourrait appeler une diaspora au travers de la langue, l’ethnicité ou la religion. Ou comment arriver dans un pays étranger, dépassé par les nouveaux codes sociaux et culturels, la communauté “de base” fait sens et rapproche malgré des acteurs qui abusent des nouveaux sur le plan économique. Promesse professionnelle, solitude affective et sexuelle, promiscuité immobilière et répression politique, Nationalité : immigré se veut esthétiquement militant, un brin théâtral pour son scénario, parfois satirique voulant rappeler l’absurdité du jeu social et codes sociaux urbains parisiens pour ce contexte. Dans ce Paris et cette France à peine post-coloniaux, on se retrouve déjà dans cette société où l’individu et l’opinion prônent. Mais surtout, le film est un vrai rappel des murs structurels auxquels font face des immigrés ou exilés en France. La catégorisation des origines et des couleurs, les stéréotypes affiliés à telle ou telle communauté ou “diaspora”, a priori qui sont véhiculés parfois même entre autres personnes et communautés non blanches. Le film est d’ailleurs sorti quelques petites années avant le fameux ouvrage sociologique L’établi de Robert Linhart, livre phare de la hiérarchisation professionnelle et raciale, de travailleurs dans une usine à la fin des années 60. Construction racialiste intégrée dans les métiers et mœurs, Nationalité : immigré revient sur l’invisibilisation de ces individus en quête d’une vie “meilleure”, dans le pays ayant “conquis” et “chamboulé” leurs patries d’origine.
C’est un retour visuel à la racine des maux de leurs parents et aïeux, une faille et claque culturelle et historique, une situation quotidiennement ordinaire et douloureuse sous noir et blanc, inlassablement poétique et aux réflexions et apartés philosophiques !