SÉNÉGAL – BANEL ET ADAMA
Autrice: Aïssata Gueye
« Banel et Adama » de la réalisatrice Ramata-Toulaye Sy vu par une jeune femme peule.
Je ne peux vous cacher que j’ai écrit et réécrit cet article une bonne dizaine de fois. Tout simplement parce que je trouvais mes premiers écrits extrêmement dénués de ressentis purs suite au visionnage du long-métrage « Banel et Adama ». Effectivement, de manière tout à fait naturelle, je me suis d’abord mise dans la peau d’une critique de cinéma, ce que je ne suis vraisemblablement pas. Ainsi, après plusieurs essais, je me suis dit que la chose la plus simple à faire était d’analyser cette œuvre du point de vue d’une jeune femme peule vivant en France et ça je le suis. Je vous invite donc à découvrir le merveilleux long-métrage de Ramata-Toulaye Sy à travers mes yeux.
Je découvre, comme beaucoup, le long-métrage « Banel et Adama » à la cérémonie du Festival de Cannes, surprise et enjouée d’y voir une œuvre cinématographique écrite entièrement en langue peule. Quelques temps après, c’est dans une salle à Bastille que j’ai le privilège d’assister à l’avant-première du film en présence de la réalisatrice Ramata-Toulaye Sy. J’arrive en avance ce qui m’a permis d’être témoin de l’entrée de personnes aussi enjouées et hâtives que moi. C’est comme si on pouvait lire « enfin » sur leurs visages. Enfin nous nous voyons au grand écran. Les lumières s’éteignent, le film commence.
L’histoire aux allures de conte de Banel et Adama se déroule dans un village peul au nord du Sénégal. Dans ce village, comme dans tant d’autres, les normes de vie en communauté semblent figées, inchangeables. Les femmes ont leurs rôles définis et les hommes aussi. Toutefois, un parti semble un peu plus lésé que l’autre. Banel (Khady Mane), étant une femme, des attentes colossales planent sur ses épaules, des attentes qu’elle balayera à chaque fois qu’une nouvelle lui est imposée. Aussi insistants que les gens du village peuvent l’être, notamment la mère d’Adama, Banel ne veut se définir que par elle-même. Adama (Mamadou Diallo Adama), lui, en tant qu’homme souffre aussi de son lot de devoirs, il doit devenir le chef du village tout comme l’ont été les hommes de sa lignée avant lui. Mais avant toute chose, Banel et Adama sont amoureux, ils s’aiment d’un amour incommensurable, d’un amour éprouvé par les regards et les injonctions des membres de la communauté. La volonté de vivre pleinement cet amour, à deux, de faire communauté à deux, pousse les protagonistes à vouloir vivre en dehors du village.
Ce premier long-métrage de la réalisatrice Ramata-Toulaye Sy a la richesse de soulever des problématiques sociétales autant inhérentes aux sociétés peules qu’universelles. Effectivement, la trame se construit sur le fond d’une région rurale peule qui connait des bouleversements liés à la sécheresse. La pluie peine à venir, l’eau se fait rare, les bœufs se meurent. Et lorsque nous nous intéressons aux sociétés peules, nous savons que ces sujets sont au cœur de la littérature de ces peuples. Cet aspect littéraire est retranscrite de manière flagrante tout au long du film. Cela se comprend par la demande de Banel à Adama de lui raconter une histoire qui est en fait un conte peul sur les génies de l’eau. Plus tard, nous pouvons aussi reconnaître une fameuse berceuse peule chantée par l’héroïne. La présence de ces multiples références littéraires démontre la finesse des recherches effectuées en amont de la réalisation de ce long-métrage. Ce qui a son importance, puisque cela permet de comprendre la variété du patrimoine culturelle peule.
Au-delà de l’aspect culturel, des normes de vie en communauté sont remises en question par le biais du personnage de Banel. D’emblée, par son accoutrement, ses prises de positions cette dernière ne se conforme pas aux règles que lui sont imposées. Elle est la seule femme mariée du village qui a la tête nue mais aussi la seule femme qui refuse catégoriquement d’avoir une progéniture en proclamant « que vais-je en faire ? » lorsqu’elle est questionnée sur ce sujet. Cette histoire d’ascendance se retrouve sur les lèvres de quiconque la croise, comme si elle n’était faite que pour ça. D’ailleurs, la mère d’Adama lui explique que c’est le destin d’une femme de produire une lignée pour son mari. Ici, cela serait la condition sine qua non afin d’être considérée comme un femme à part entière. Ainsi, la jeune femme se demandera « ne suis-je pas une femme » (petite référence à l’œuvre du même nom de bell hooks). Cette interrogation légitime nous renvoie aux critères qui définissent la féminité. Car finalement, qu’est-ce qu’être une femme ? Est-ce le fait d’avoir des cheveux longs ? Est-ce le fait de faire des enfants ? Ne serait-il pas possible d’être une femme par le simple fait de l’être et de s’y identifier ? Pour les femmes de cette communauté, être une femme serait une sorte de performance inlassable. Toutefois, Banel ne veut pas faire partie de ce spectacle, elle veut écrire son propre destin, se redéfinir seule. Par ces actes, elle reconsidère les supposés caractéristiques de la femme peule mais aussi de la femme en général. Cette reconsidération a son ampleur puisqu’elle permet de s’éloigner des définitions essentialisantes qui ont été pendant longtemps le fléau des études concernant les sociétés peules. En s’écartant des attentes qui lui sont dictées, le personnage principal impose sa complexité. Puisque les femmes peules tout comme les femmes en général sont complexes et de ce fait ne peuvent être définies de manière figée.
À travers cette œuvre qui, pour moi, est inégalée la réalisatrice Ramata-Toulaye Sy présente le personnage obstiné de Banel qui en fixant sa propre destinée nous fait réaliser qu’il existe autant de définitions de la femme qu’il existe de femmes.