UK – “NO THANK YOU” DE LITTLE SIMZ
Lorsque l’ultra-prolifique Simbi Ajikawo laisse place à son alter-égo, ce n’est jamais sans avoir pris au préalable rendez-vous avez le succès. La jeune dame poursuit avant tout – à sa manière bien propre – l’héritage d’un genre directement tiré des 90’s. Sa patte artistique se reconnait entre mille: un hip-hop punchy, affublé de sérieuses tendances psychés et Grime, le tout ornant fièrement un flow expulsé au rythme du va-et-vient d‘un épais nuage de fumée. Une recette à succès qui fait de Simbi, une artiste que vous saurez appréciée et acclamée.
L’un des thèmes les plus importants des deux derniers albums de Little Simz – GREY Area en 2019 et Sometimes I might be Introvert, lauréat du prix Mercury en 2021 – est l’angoisse mentale de naviguer dans l’isolement au milieu du triomphe public. “I’m paranoid, I feel my life is a mess/I’m just usin’ my voice, hope it will have an effect“, rappe-t-elle sur I Love You, I Hate You. Les flux souples et la voix autoritaire de Simz l’ont aidée à surmonter l’anxiété de ces pensées intrusives.
Mais sur ” NO THANK YOU, elle semble complètement détendue. “Drink ’42 and smoke cigar/Name one time where I didn’t deliver“, chante t’elle sur Gorilla, elle se vante sur des plunks de basse épaisse et des tambours légers avec l’aimable autorisation du producteur Inflo. La fanfare bêlante des cors ajoute à l’ambiance victorieuse alors que Simz lance des lignes avec une désinvolture arrogante sur “Silhouette” c’est une réplique contre les conneries du jeu de rap, mais c’est aussi le Simz le plus engagé et motivant qui ait sonné depuis des années. Et c’est bien.
Grandement empreint des influences jazz et soul prédominantes NO THANK YOU est un patchwork d’influences avec une cohérence bluffante : des guitares rock 60’s et des synthés en fusion, un phrasé assez technique en alternance avec un chant de crooner dont la sensualité et le panache évoquent successivement Donna summer, Alicia Myers ou encore Chakan Khan, tout en conservant son caractère singulier.
L’omniprésence de différents drums tout au long de l’album, sont lourds de sens. S’ils se révèlent aussi importants, c’est qu’ils traduisent à la perfection l’état d’esprit de SIMZ, une femme noire coincée entre le succès et des convictions personnelles de plus en plus pesantes.
Comme toute artiste torturée, tiraillée par sa conscience, ses mots font rêver et quelques fois rappellent à la réalité. Mais aucuns ne peut échapper à ce qui est primordial pour elle : l’honnêteté avec laquelle ils ont dit, et elle dit si bien sur Control « You Know you wanna hear my truth/ I wanna hear yours, I’m listenin’ too/ Lookin’ through a wasi-sabi lens, so i get a wabi-sabi view » elle embrase selon un principe Japonais, l’essence de la vie et notre motivation consistant à trouver la beauté dans la fugacité imparfaite.
Cette vérité, sa vérité est comme une chambre de résonance, un endroit secret qui ne pouvait être que difficilement pénétré qui se trouve intégralement tributaire du travail des vivants et des morts comme le message est très bien retranscris par Ceo Sol dans Angel « God sent me you as an angel
When you’re alone/ The little thoughts that nobody knows/ Hardest thing to do was stay strong/ I knew I needed an angel » et à Simbi de répondre « I got angels guidin’ my steps, guardin’ my life from now until death/ Perspective is everything and I wonder what they seel ». Tout est une question de sentiments et non de volonté, ce frisson de l’instinct vital, cet amour de concupiscence et qui au fur à mesure que l’on avance se détache de ce côté prosaïque et des désirs égoïstes pour renouer avec cet héritage et la ressemblance des personnes qui l’ont influencée.
Entre deux lignes célébrant son succès, Simz donne l’impression d’une artiste arrêtée à mi-chemin. Elle est ravie d’être à un tel stade de sa carrière, mais elle fait face à la pression de calculer son prochain mouvement – et, plus précisément, elle est enfermée comme nous tous, confrontée à la mortalité ainsi qu’à la solitude forcée, et sans s’apitoyer, le monde de ces chansons semble aussi lumineux qu’un noyau radioactif en pleine fusion. Cet encerclement des mêmes sons et thèmes est une forme extrême d’introspection d’un artiste notoirement introspectif. Parfois, cela devient trop claustrophobe, comme avec le “No merci” improvisé sur lequel Simz navigue régulièrement dans une seule vitesse.
Elle n’a plus rien de ce personnage insouciant, juvénile, enjoué et naïf d’auparavant, et apprend à ses dépens que les choses, dont l’expérience, vous vieillit plus rapidement qu’une longue suite d’années paisibles, ce qu’elle a gagné en bonheur, en sentiment de culpabilité et en souffrance, elle l’a perdu sur le plan de l’amitié et de la jeunesse. Elle s’accroche à cette petite histoire triste de blessure et de chagrin : un problème et une douleur anciens que l’existence a lâché sur son être pur et innocent, et elle essaye de réécrire cette histoire à l’infini, tout en connaissant son intrigue, en devinant son thème, en inventant sa signification et en rejetant son origine.
NO THANK YOU dépeint l’excuse à cet amour naïf un peu comme les messages glissés au cœur des biscuits chinois : jusqu’à ce qu’il devienne pure sottise d’adultes. C’est un fantasme en dix plages, le rêve d’une autodidacte qui invente son propre idéal soul en accordant les vestiges du passé avec sa vision et qui, ultime utopie, parvient à faire oublier aux auditeurs toutes ces notions de temps.