USA – CHRISTIAN SCOTT, LE SURDOUÉ DE LA NOUVELLE ORLEANS
Jusqu’où ira Christian Scott ? Nul doute qu’à 33 ans, le trompettiste américain voit loin, très loin. Il semble même, au fil de ses disques, de plus en plus résolu à réécrire les règles du jazz à coup d’hybridation, d’avant-garde, et de fulgurances exploratoires. En cette année qui célèbre le centenaire du genre, l’Histoire a fourni à Scott un contrepied idéal pour poursuivre son œuvre titanesque à rebours de la tradition.
Ce natif de La Nouvelle-Orléans a ainsi choisi cet anniversaire pour sortir trois concepts albums aux objectif précis : Ruler Rebel pour «Qui tu écoutes », Diaspora pour «Qui parle à qui » et The emancipation procrastination pour «Ce que l’on raconte ». Cette trilogie serait un rêve de gosse : «Je voulais remettre dans la tête des gens que le jazz est une multitude de sons et d’influences et pas juste une blague » et une revanche au premier enregistrement Jazz en 1917 de Dixieland Jass Band, disque avait été fait pour se moquer du jazz noir ! Une sorte de satire de mauvais goût. Trois disques vecteurs de l’avenir de cette « stretch music » imaginée par Scott dans le creuset de sa génération bouillonnante, et qu’il a fini par baptiser ainsi dans un album manifeste en 2015.
L’innovation n’est pas une fin en soi pour Scott. Celui qui fait concevoir des cors hybrides et se crédite désormais lui-même « architecte sonore » a trouvé dans ses instruments mutants un moyen symbolique de passer les frontières. Car des frontières, il en est bien question dans le nouvel opus que le trompettiste dévoile cette semaine.
Après Ruler Rebel, un premier volet publié en mars revendiquant des influences trap et intégrant plusieurs remixes, Christian Scott prépare aujourd’hui la sortie de Diaspora, second étage de cette ambitieuse Centennial Trilogy. Comme sur Strech Music, c’est avec sa complice de longue date la flûtiste Elena Pinderhugues que s’ouvre ce nouvel album, une virtuose elle aussi qui offre un solo magnifique au titre introductif, lui conférant d’emblée une ambiance stratosphérique.
Des invités talentueux, ce Diaspora en est plein. Du saxophoniste de D.C. Braxton Cook au pianiste Lawrence Fields, sans oublier la chanteuse Sarah Elizabeth Charles qui offre un refrain plein de ferveur au titre final – et unique chanté du disque (dommage !).
Christian Scott envisage finalement le jazz comme une œuvre collective qui dépasse de loin son enveloppe artistique. The Centennial Trilogy est le regard élargi que le New-yorkais porte sur le jazz, une vision militante, politique et sociale qu’il perçoit dans cette musique chargée d’une longue histoire humaine.
Rassembler les genres, « étirer » le jazz en le truffant de hip hop, de funk ou d’electro découle de la même ambition pour ce fan de Kendrick Lamar. Celle de s’affranchir des barrières, des règles et des différences économiques, sociales et raciales du vieux monde. Un idéal dont il offrira le nom en septembre prochain au titre du troisième et ultime volet de cette trilogie contemporaine : Emancipation qui se voudra plus politique, plus complexe et moins accessible, illustre parfaitement musicalement le concept de Stretch Music, si cher au personnage.