ETATS-UNIS – LA BD WAKE DE REBECCA HALL & HUGO MARTÍNEZ

ETATS-UNIS – LA BD WAKE DE REBECCA HALL & HUGO MARTÍNEZ

Publiée par les éditions Cambourakis et traduite en français par Sika Fakambi, la BD Wake suit Rebecca Hall, historienne et avocate afro-états-unienne, qui part à la recherche des révoltes inconnues des femmes noires esclavisées. 

Nous vivons dans le sillage de l’esclavage. Cela se manifeste par le racisme systémique que subissent les clientes noires de Rebecca Hall qui n’ont pas droit aux mêmes dédommagements que ses clientes blanches. Ou le fait qu’on la prenne dans une cour de justice pour la prévenue alors qu’elle est avocate. Ce racisme systémique prend source dans l’esclavage et il faut remonter à cette période pour comprendre l’expérience des femmes noires aujourd’hui aux États-Unis. Le manque d’empathie qu’elles subissent qui va avec des décisions judiciaires différenciées prend naissance dans le fait qu’elles donnaient naissance à des “biens meubles” durant l’esclavage. Comment se sont-elles battues contre ce système de domination ? La BD retranscrit la recherche de Rebecca Hall en faisant d’elle le personnage principal. On la suit à travers les dessins saisissants en noir et blanc d’Hugo Martínez dans sa quête de révoltes de femmes esclaves. Patriarcat oblige, longtemps on n’a jamais cherché à étudier la participation des femmes dans les révoltes, tout simplement convaincu qu’elles n’existaient, quelques figures masculines nous sont par contre parvenues au fil des générations. Pourtant il est reconnu que plus il y avait de femmes sur un bateau, plus il y avait de chances qu’une révolte s’y produise. Pourquoi ? Selon le point de vue patriarcal, il est bien connu que les femmes ne sont pas des combattantes, ne savent pas se battre. Elles étaient donc autorisées à aller sur le pont sans fer pour être aussi soumises aux viols et violences sexuelles des hommes de l’équipage. Sur le pont, c’est là où se trouvent les armes. Cette mobilité a pu être la source de nombreuses révoltes à la barbe des colons blancs.

La première apparition de Rebecca Hall dans la BD se fait avec cette déclaration: “Je suis historienne. Et je suis hantée.” Hantée par cette histoire de l’esclavage qui a construit les États-Unis (et le monde actuel) et qui fait partie de son histoire intime et familiale étant une petite-fille d’esclaves. La construction de la BD allie passé et présent pour à la fois signifier la découverte de ses recherches et montrer le continuum avec l’époque contemporaine. Les traces de l’esclavage se lisent partout encore faut-il avoir les lunettes conscientes de lecture, avoir l’intuition de chercher dans le creux pour deviner une existence de révoltes féminines parce que l’effacement a été sciemment pensée et est un outil de violence. C’est alors deux fois plus de travail, connaître, fouiller dans l’histoire de l’oppresseur (rapport de procès, procédures pénales, coupures de presse, journaux de bord de capitaines…) pour trouver ne serait que des traces d’existences qui parfois sont à jamais inaccessibles. Accepter le vide fait partie du processus. L’accès aux archives est d’autant plus politique quand on remarque qu’on lui refuse l’accès à certaines pour ses recherches.

Ce va et vient avec le passé est un moyen de l’embrasser pour aller vers la guérison.

 

“Portant les dons de mes ancêtres en moi, 

De l’esclave je suis le rêve et l’espoir” Maya Angelou

Par la force de l’imagination et de la créativité, l’on tente de combler les vides. C’est ce que Rebecca Hall fait lorsqu’elle imagine la révolte de deux guerrières Agoojié (les Agoojié sont les héroïnes du film The Woman King sorti l’année dernière) sur le bateau négrier Unity, les archives “officielles” n’indiquant que des formules aussi froides que Femme n°4 ou Femme n°10. Raconter des histoires, se raconter, fait partie de la guérison du trauma. On dit qu’on “a une histoire” quand nous sommes en relation romantique, les histoires constituent notre être face au /dans le monde. Tout au long de la BD, mon chemin émotionnel passant de la colère, à l’admiration ou le ressentiment et la tristesse en découvrant les histoires de ces femmes noires esclavisées se finit par une note d’espoir. “Nous n’étions pas censées survivre” a dit Audre Lorde, citée dans la BD. Et pourtant nous sommes toujours là. Toujours là à raconter nos histoires, malgré tout.

Auteur / autrice

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Marie-Julie Chalu

Comédienne - Journaliste

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