GUADELOUPE – ICI S’ACHÈVE LE MONDE CONNU
Autrice: Lakozery
Ici s’achève le monde connu ou comment reconstruire les humanités de ces femmes et hommes oubliés.
Aliénation, émancipation, liberté de peuples opprimés, c’est ce dont il est question dans « Ici s’achève le monde connu » dont l’histoire se passe sur l’île de Kaloukaera (la Guadeloupe) en 1645.
Nous sommes dès les premières minutes les témoins de la rencontre entre deux êtres que la quête de liberté unit.
Elle s’appelle Ibátali (mon pays, mon visage)
Il s’appelle Olaudah (chance)
Ibátali, une jeune femme Kalinago, enceinte, au terme de sa grossesse.
Olaudah, un jeune yoruba, captif et en fuite.
L’épopée de deux êtres en marronnage
En forêt, c’est ainsi que débute leur périple. Une forêt luxuriante, refuge, lieu symbolique aux énergies et remèdes puissants au sein duquel se déroule la narration. Ibátali est une jeune femme Kalinago qui a été vendue aux hommes blancs par son père. Considérée comme une sauvage, elle s’est évadée de la plantation avant le terme de sa grossesse. Olaudah, lui, est en fuite. Originaire d’Afrique de l’Ouest, il aspire à retourner sur ses terres et retrouver sa liberté. Lors de leur premiers échanges, Ibátali lui parle de l’île de Waïtukubuli (la Dominique) sur laquelle se rendent les Kalinagos. « Une île sans hommes blancs ». Ensemble, ils partiront sur la trace du point de rencontre vers Waïtukubuli. Plongés-ées dans leurs histoires respectives, nous sommes les témoins d’un Olaudah qui puise dans ses savoirs ancestraux pour guérir Ibátali lorsqu’elle tombe malade et rendre hommage à sa sœur, disparue.
Les ravages de la colonisation : aliénation, instrumentalisation de la religion et sacrifice
Ibátali appelle son fils Pierre. Elle confie à Olaudah son souhait de le baptiser « parce que les sauvages baptisés sont regardés comme sujet naturel de la Majesté et protégés par les lois du royaume de France ». Pourtant, nous comprenons bien que le baptême n’efface pas la race. Prise d’un conflit interne, Ibátali affirme vouloir retourner chez les colons français car elle pense que son nouveau-né ne sera pas accepté sur l’île Waïtukubuli. Les deux protagonistes se retrouvent rapidement dans un étau. Les colons les poursuivent. Ils avancent entre les palétuviers et tentent de leur échapper. Dans ses bras, son enfant pleure.
La suite n’est que sacrifice, douleur et volonté d’émancipation.
Outre ses nombreuses récompenses au cours de l’année 2022, « Ici s’achève le monde connu » ne paie pas de mine. Le 21 mai dernier, le court-métrage d’Anne-Sophie Nanki remporte le prix spécial du jury lors de la 21ème édition du Prix Unifrance du court-métrage narré en langues Bushinenge.
Anne-Sophie Nanki livre ses quelques mots :
« J’ai écrit cette histoire pour porter un regard différent sur les premiers temps de la présence française aux Antilles, en proposer un contre-récit méconnu. En Guadeloupe, dont je suis originaire, les Kalinagos, nation indigène qui peuplait les Petites Antilles, ont disparu. Exterminés. J’ai voulu me pencher sur le sort de ces oubliés, raconter les conséquences de la colonisation et de l’esclavage dans l’intimité de la chair, des affects, des subjectivités, des familles aussi, avec une attention particulière portée aux corps des femmes, entravés, violés, mutilés vivants, marchandés. »
On notera la quasi inexistence de langue coloniale, sauf à la toute fin, ayant pour ferme intention de rappeler le contexte linguistique en cette fin du XVIIème siècle (aucune langue coloniale parlée par les civilisations amérindiennes ou africaines à l’époque).
Les langues Bushinenge sont donc celles qui ont été choisies pour le court-métrage car elle ont été parlées dans les plantations et parlées par les communautés amérindiennes et africaines au Surinam et en Guyane, notamment.
Disponible jusqu’au 26/07/2023 sur France Télévisions ici
Déconseillé aux moins de 12 ans